Le Bien de l’Autorité
Est-ce que la vérité est au-dessus de
l’autorité ou l’autorité au-dessus de
la vérité? Quelles sont les relations entre les
deux ?
Même au niveau naturel, l’homme a besoin de l’autorité
pour apprendre la vérité : tous les enfants
apprennent d’abord sur l’autorité de leurs
parents et de leurs enseignants, et ce n’est que plus tard
qu’ils seront capables de comprendre par eux-mêmes
ce qu’ils auront appris par autorité. Même
chez les adultes, il y a beaucoup de vérités qu’ils
ne connaissent que par voie d’autorité : combien
d’adultes sont capables de démontrer que la surface
d’un disque est pR2? La plupart ne le savent que sur l’autorité
de leur professeur d’école. Cependant à ce
niveau naturel, l’homme est capable d’atteindre une
certaine connaissance de la réalité (vérité)
sans autorité.
Mais au niveau surnaturel, l’homme ne peut pas atteindre
la connaissance des réalités surnaturelles (comme
la Trinité des Personnes en Dieu) sans la Révélation.
Ainsi St Thomas d’Aquin enseigne : « Il
est certain que notre doctrine doit user d'arguments d'autorité
; et cela lui est souverainement propre du fait que les principes
de la doctrine sacrée nous viennent de la révélation,
et qu'ainsi on doit croire à l'autorité de ceux
par qui la révélation a été faite.
Mais cela ne déroge nullement à sa dignité,
car si l'argument d'autorité fondé sur la raison
humaine est le plus faible, celui qui est fondé sur la
révélation divine est de tous le plus efficace. »
(Ia q.1 a.8 ad2m).
Quand Dieu parle, l’homme doit croire. C’est là
le « principe du dogme » qui fut si important
pour le Cardinal Newman : « d’abord le principe
du dogme : c’est mon combat contre le libéralisme ;
j’appelle par libéralisme le principe antidogmatique
et ses développements… Depuis l’âge de
quinze ans, le dogme a été le principe fondamental
de ma religion ; je ne connais pas d’autre religion ;
je ne peux accepter d’autre sorte de religion ; une
religion qui ne serait que sentiment est pour moi un rêve
et une moquerie » (Apologia, chp.2).
La vérité révélée doit être
proposée avec autorité ; ainsi l’Ecriture
seule n’est pas suffisante. Si quelqu’un s’appuie
sur son interprétation personnelle, il ne peut pas avoir
la Foi Catholique, la vraie Foi. En effet, d’où vient
l’autorité de la bible, si ce n’est de l’Eglise
Catholique ? St Augustin enseigne : « je
ne croirais pas aux Evangiles si l’autorité de l’Eglise
Catholique ne m’y engageait pas » (Contra Ep.
Fund., 5,6). Sans cette autorité, la foi n’est qu’une
opinion. Ainsi St Paul dit : « comment croire
sans d'abord entendre ? Et comment entendre sans prédicateur
? Et comment prêcher sans être d'abord envoyé
? » (Rom. 10:14-15). Notre Seigneur Jésus Christ
a prêché avec autorité (Mt. 7:29), et Il a
envoyé ses Apôtres les dotant de sa propre autorité :
« qui vous écoute, M’écoute »
(Luc 10:16). Un prédicateur sans « mission »
n’a pas d’autorité, et n’est pas en position
de prêcher la vraie Foi ! Ainsi l’autorité
est essentielle à la connaissance de la vérité
révélée.
Or le rejet de l’autorité est la marque du libéralisme,
le cœur de la philosophie moderne. On le voit et chez ceux
dotés d’autorité, qui ne savent pas comment
en user (par ex. le Credo de Paul VI en 1968 n’est que sa
profession de Foi : il ne l’impose pas), et chez ceux
qui sont soumis à l’autorité, qui ont du ressentiment
contre tout ordre. D’où le drame de Vatican II, quand
les évêques ont voulu proposer la Foi à l’homme
moderne dans le langage de l’homme moderne, sans jugement
solennel, sans définition, sans utiliser le magistère
suprême.
Dans la confusion qui s’en suivit, comment est-ce qu’un
fidèle peut discerner ce qu’il doit croire ?
La foi n’est pas la réponse à une autorité
humaine, mais à l’autorité de Dieu :
d’où la nécessité que ceux qui ont
reçu autorité dans l’Eglise soient transparents
à Notre Seigneur Jésus Christ, de telle sorte que
les fidèles puissent voir Jésus parlant en lui.
Or la transparence consiste essentiellement dans la transmission
fidèle de ce qui est reçu : une vitre est transparente
lorsque l’image qu’on y voit ne vient pas d’elle
(comme d’un écran TV), mais vient de derrière
et passe à travers la vitre sans transformation. Alors
il est clair que ce qu’il enseigne n’est pas son opinion
propre, mais vient du Christ à travers les siècles
de Foi. Ainsi la nouveauté est le signe sûr de l’hérésie,
et la fidélité à la Tradition le signe sûr
de l’orthodoxie.
Mais qu’arrive-t-il si un fidèle est trompé
dans ce discernement et sans faute est amené à croire
certaines erreurs parce qu’elles sont enseignées
par ceux qui sont dotés d’autorité dans l’Eglise
aujourd’hui ? Si l’objet de sa foi est « ce
que l’Eglise Catholique croit et enseigne » pour
le motif que Dieu l’a révélé et confié
à l’Eglise, alors même qu’il se trompe
sur le contenu exact de cette foi, il a la vraie Foi. Même
certains saints se sont trompés sur le contenu exact de
la Foi, même St Thomas dont la notion de la Conception Immaculée
de Marie était inexacte, ou St Cyprien sur la réitération
du baptême. Mais comme St Augustin l’enseigne, c’est
son amour de l’unité de l’Eglise qui l’a
sauvé, i.e. le fait qu’il mettait la Foi de l’Eglise
au-dessus de sa pensée personnelle (de Baptismo 6 :1,2-2,3).
Cependant si quelqu’un rejette l’autorité de
l’Eglise Catholique, même s’il continue de tenir
certaines vérités que l’Eglise enseigne, il
juge qu’elles sont révélées par jugement
propre (faillible) et non plus « parce qu’elles
sont révélées par l’autorité
de Dieu et enseignées par l’Eglise (infaillible) »,
il a perdu le motif même de la Foi, il a perdu la vertu
de Foi. Vraiment l’autorité est indispensable à
la vraie Foi !
L’autorité est aussi nécessaire pour la perfection
évangélique. En effet St Thomas enseigne –
avec toute la Tradition de l’Eglise – que la perfection
religieuse consiste principalement dans l’imitation du Christ,
et spécialement de son obéissance (IIa IIae q.186
a.5) ; or pour obéir il faut un supérieur doté
d’autorité. C’est en effet une grande bénédiction :
il est souvent difficile de discerner quelle est la Volonté
de Dieu sur nous dans les circonstances concrètes de la
vie. Comment le simple fidèle peut-il discerner s’il
fait la volonté de Dieu ou sa volonté propre ?
C’est là que l’autorité entre en jeu :
quand on obéit l’autorité légitime,
et surtout l’autorité religieuse, alors on sait que
l’on fait la volonté de Dieu. Même s’il
y a faute du côté du supérieur, du moment
que ce qui est commandé n’est pas intrinsèquement
mauvais, c’est bien d’obéir. L’exemple
typique est celui d’une nomination dans un ordre religieux ;
ou, dans le cas de Mgr Lefebvre, quand il a été
nommé évêque de Tulle, il y eut peut-être
faute chez ceux qui l’ont rejeté dans un petit diocèse
(étant archevêque, on aurait dû lui donner
un archidiocèse), mais il était bien d’obéir,
ce qu’il a fait avec une grande humilité et sans
se plaindre.
Enlevez l’autorité et vous enlevez l’obéissance
religieuse, vous enlevez la perfection religieuse, la perfection
chrétienne !
Même quant à l’autorité des pouvoirs
civils, l’Eglise a toujours soutenu le principe d’autorité.
Le Cardinal Pie disait : « Pour la conscience éclairée
d'un ministre de l'Eglise, l'hostilité envers les gouvernements
n'est pas possible, parce qu'elle irait contre l'esprit même
de l'Eglise, qui est un esprit éminemment patient et conservateur,
et qui, lors même qu'il s'accommode le moins de certains
actes et de certaines tendances du pouvoir, ne va pas jusqu'à
méconnaître le bien qui peut encore se faire à
l'aide de l'autorité existante. » Et son commentateur
d’ajouter : « Remarquons ces nuances. L'âme
de Mgr Pie est là. Il a tellement le culte de l'autorité
qu'il la respecte en tous ceux qui la détiennent, et, quand
son devoir l'oblige à se dresser contre eux, il est des
moyens de défense auxquels il ne veut point recourir, parce
qu'en atteignant les hommes, ils blesseraient le pouvoir. »
(Card. Pie, pages choisies, p. cii).
A notre époque, dans une telle crise d’autorité,
on ne doit pas rejeter l’autorité elle-même
sous prétexte qu’on en abuse ou qu’on la méprise.
On doit discerner quand elle fait encore son devoir (de pourvoir
au bien commun : Rom. 13:1-5) tout en résistant à
ses abus (quand elle va contre la Loi de Dieu : Act. 5:29).
Ceux qui sont dotés d’autorité (un père
de famille, un supérieur religieux, etc.) doivent s’efforcer
« d’être trouvés fidèles »
(1 Cor. 4:2). Ceux qui ont la grâce d’avoir un bon
supérieur – bien qu’imparfait – doivent
remercier Dieu pour cela et s’efforcer de pratiquer d’autant
mieux la vertu d’obéissance. Calomnier l’autorité
(par ex. en disant qu’elle est « en train de
préférer les Papes errants à l’inerrante
Tradition », ce qui certainement faux), c’est
nuire gravement en minant le grand principe d’autorité,
si nécessaire à la Foi et à la vertu.
Abbé François Laisney